lundi 25 janvier 2016


L’ESPACE SACRE



Tout groupe humain se doit de maitriser la violence potentielle de ses membres. Pour ce faire, il a besoin d’un chef garant de ses valeurs, de ses coutumes et de ses lois et qui est seul à disposer de la violence légale.
Inévitablement, le chef, tenant du pouvoir, grands-prêtre, roi et même président de démocratie finit par en abuser. Le peuple  profane, épris de liberté, lui fait alors peur.
L’instinct de conservation (conatus) du chef   porte celui-ci à se barricader dans un enclos qu’il baptise « sacré » .
Le « Sacré » dicte alors et avant tout,  ce qui est interdit et qui ne peut être transgressé sans maux ; En Islam, le mot «
Haram » signifie surtout, « interdit ».

Leur enclos sacré s’appelle  « Saint des saints », palais fastueux, châteaux-forts imprenables, demeures présidentielles somptueuses, et tombeaux grandioses (pyramides).
« Pour   l’homme religieux, l’espace n’est pas homogène, il présente des ruptures, des cassures…Il y a donc un espace sacré, et par conséquent, il y a d’autres espaces, non-consacrés et partant sans structure ni consistance pour tout dire : amorphe …», c’est-à-dire,  l’espace profane .

Or le moteur invariant de l’Histoire,   est la Liberté qui engendre l’individualisme.

Il en résulte que le sacré sera  toujours,   source d’envie  génératrice de  violence.
Je parle ici, d’enclos, de territoires comme le jardin profane qui entoure ma maison, aussi bien que de l’intérieur sacré d’une église ou d’un palais.
Une propriété immobilière,  profane ou sacrée  n’est qu’une chose virtuelle, imaginaire qui n’existe  que dans notre esprit et qui  fait l’objet d’un consensus entre “croyants”  seuls, sans valeur pour un pigeon voyageur.
La source  de « l’instinct de propriété » est  l’instinct de conservation ou plus précisément le Conatus de Spinoza.
Si on admet avec Pierre-Joseph Proudhon que « la propriété,   c’est le vol », il  n’est pas étonnant que l’espace sacré, propriété virtuelle   soit source de violences.
Ce qui déclenche l’instinct de propriété, c’est la peur des autres, plus que le désir mimétique. L’individu s’entoure alors, d’un espace protecteur, d’un « glacis » autour de lui. Constatant que l’union fait la force, il convainc ses congénères de défendre cette propriété, fusse-t-elle virtuelle comme l’oumma , l’espace sacré religieux des mahométans.

La hiérarchie religieuse a tôt fait de matérialiser cet espace virtuel sacré, par des temples (cf. les enclos paroissiaux bretons) et des droits, règlements, « commandements », livres sacrés, interdits alimentaires,   etc.

"Le premier qui, ayant clos un terrain, s'avisa de dire: Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eut point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant un fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne. »
« Toute  guerre nait d'une prétention commune à la même propriété », remarque  Denis Diderot

Voici un exemple, illustrant  le sacré comme  source de la violence :
Le jour de Noel 2015  à  Ajaccio, un groupe de jeunes mahométans provoque un incendie pour monter un guet-apens contre les pompiers et blessent deux soldats du feu. La population manifeste et un groupe d’excités ajacciens saccage une mosquée voisine.
Ici, il y a là,   double action violente  dont l’origine est le Sacré: la première de la part des mahométans qui considèrent probablement que Ajaccio est une ville de l’oumma sacré puisque les barbaresques maures attaquèrent les villes corses  au VII°siècle et suivants .
La seconde est celle des excités corses qui profanèrent un espace sacré mahométan.

Il n’y a pas lieu d’y voir là ,  l’effet  d’un désir mimétique cher à René Girard.

Conclusion :   Le sacré (mais pas seulement lui) est source de violence ?
« Votre vie a-t-elle un sens ? »
N’est-ce pas  la conscience de notre finitude qui nous pousse à nous demander si notre vie a un sens.
Pour tenter de répondre à cette question si souvent débattue et jamais résolue, je ferai appel  humblement, à quelques philosophes [i]:
Selon moi, la Vie n’a pas de sens autre que de se protéger, de se maintenir, de se reproduire et de s’éteindre.
« Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être. » dit Spinoza.
La « désirance »[ii] ou rage de vivre caractérise tous les êtres vivants. Spinoza l’appelle le Conatus, Schopi le « vouloir-vivre » et Nietzsche, semble-t-il,  la « volonté de puissance ».
« La Vie n’a pas de sens,  mais il faut s’efforcer de mettre du sens dans sa vie » (par exemple en ayant un comportement moral).  De même, la musique n’a de sens que celui  qu’on lui donne.
Il faut donc se fixer des règles morales plus contraignantes que la morale naturelle, instinctive qui exige seulement de  refuser le meurtre, le vol, la mutilation, le mensonge ou le Décalogue qui interdit de convoiter  l’âne et la femme de son prochain etc.
Mais quelles règles morales ?
L’impératif catégorique[iii] de Kant est inapplicable : (« Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle ») .   Péguy dit que : « le kantisme a les mains pures, mais qu’il n’a pas de mains », ou, tout autant inapplicable,  comme le célèbre précepte du Christ : « Si on te frappe sur la joue droite, tend la gauche».
Faisons le Bien ! Car  faire le bien nous rend joyeux, comme faire le mal nous rend triste.
Mais,   prudence, Diderot  nous avertit : « un  Bien présent peut être source d’un grand Mal, un Mal la source d’un grand bien ».
Par exemple, je peux me réjouir des malheurs qui frappent un ennemi, ou m’aigrir devant les succès d’un ami.
Je peux aussi trouver plaisir à rendre service à quelqu’un, même si ce service n’est pas désintéressé. 
D’ailleurs il est quasi-impossible de prouver qu’un acte altruisme est désintéressé  ou non.
Personnellement comme tout le monde, je vis pour rechercher la joie et les plaisirs,  éviter la tristesse et la souffrance,  et  vaincre nos peurs.
De même Thomas d'Aquin pense que : «  tous les sentiments sont jouissifs en eux-mêmes : l'amour, la perversion, la haine. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils se transforment généralement en actes. Seulement certains, comme le mal, à la fois séduisent mais également détruisent celui qui les ressent. Thomas d'Aquin pense ainsi que pour pouvoir vivre et aller dans le  sens de la Vie, ….il faut commencer par vouloir vivre ».


En vérité,  les gens sont  méchants et malheureux  parce qu’ils ne sont  pas assez intelligents car  l’acquisition  de connaissances fortifie notre intelligence et nous rend heureux puisque l’on peut entreprendre des projets bien conçus qui réussissent.
Si la psychologie ou les religions buttent inlassablement sur  l’origine du Mal, un certain Bien, la compassion   semble trouver une origine physico-neurologique, les « neurones miroirs[iv] ».
L’amour ou plutôt la compassion appelée aujourd’hui empathie  est la capacité à percevoir et reconnaître les émotions d'autrui. Grace aux neurones miroirs, je ressens mécaniquement ce que l’autre  ressent.
Entendons-nous ; si je vois mon ami Albert pleurer, je peux sentir mes larmes monter aux yeux.
La transmission de l’émotion ne se fait pas par voie extrasensorielle  mais par voies physiques à savoir,  les cinq sens et notamment la vue quand je voie  les larmes d’Albert. D’ailleurs un aveugle ne peut éprouver  de compassion pour un blessé silencieux, si on ne l’informe pas.
Concluons : Il y a au moins un marché aujourd'hui qui ne connaît pas la crise. Celui des raisons de vivre.[v]
Jean-Pierre BARRET  25  janvier 2016



[i] Epicure (-342,270) ; Thomas d’Aquin (1224, 1274) ; Descartes (1596 ; 1650) ; Spinoza (1632, 1677) ; Schopenhauer (1788, 1860) ; Péguy (1873, 1914) ; André Comte-Sponville (1952)

[ii] Désirance : Néologisme proposé par l’auteur : Désir fondamental inconscient sans objet, opposé à un désir ciblé comme l’envie de chocolat. 

[iii] « Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle »

[iv]Les neurones miroirs sont une catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité aussi bien lorsqu'un individu (humain ou animal) exécute une action que lorsqu'il observe un autre individu (en particulier de son espèce) exécuter la même action, ou même lorsqu'il imagine une telle action, d'où le terme miroir.(Wikipedia : voir G.Rizzolattti)

[v] « Propos sur le bonheur »,  Alain, La Pléiade ; / « L’art d’être heureux »  Arthur Schopenhauer. / 
« Du bonheur », / Frédéric Lenoir. « La conquête du bonheur », /Bertrand Russel etc.

dimanche 28 décembre 2014

De l’égoïsme à l’altruisme

28/04/2013

L’homme est-il bon, est-il méchant se demandait  Diderot ?
Les religions monothéistes semblent le trouver plutôt mauvais, puisque foncièrement égoïste.  Puis vint Teilhard de Chardin pour expliquer que l’humanité progressera  du point alpha jusqu’à sa perfection, au point Oméga ce qui valut aux écrits de l’auteur d’être mis à l’index.
Dès lors, la question se pose :
Comment l’égoïsme inhérent à la nature humaine  a-t-il pu donner naissance au souci de l’autre,  à la pitié,  à la charité, à  la compassion,  à l’empathie  et en un mot, à l’altruisme ? 
Spinoza  généralisa  le concept physique du Conatus » de Descartes et Humes, et l’étendit  à tous les êtres vivants :
CONATUS : « Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être »(1)
Le Conatus de Spinoza,   dans sa forme primitive,  désigne l’acte de se porter vers quelque chose et de chercher à prendre pour survivre, tel que saisir de la nourriture, des chevaux ou des femmes.
On parle alors d’appétit au sens large.
Chez l’être humain, le Conatus primitif  se nomme Egoïsme quand ses actions ou ses idées sont uniquement orientées par ses propres intérêts, sans prendre en compte les nécessités d'autrui. (W)

Normalement,  poursuivre  son intérêt, c’est se faire plaisir, c’est-à-dire, essentiellement  chercher l’utile et l’agréable en toute chose.  Dans ce sens, tout le monde poursuit partout et toujours  son intérêt.

Mais,  qu’arrive-t-il  s’il n’y a pas assez de choses  désirées disponibles ?

Il y  a alors choc de deux individus  strictement égoïstes, c’est-à-dire de deux Conatus primitifs.
La violence apparait. Comment survivre alors ?
Trois réactions possibles : Faire face, fuir, ou se soumettre !
Faire face, c’est risquer sa vie, fuir  c’est se heurter plus loin aux  chocs  d’autres conatus, ou se soumettre, c’est devenir esclave  et donc ne plus exister.

René Girard à découvert une autre solution pour supprimer la violence née du « désir mimétique » ; c’est de désigner un bouc émissaire, le Christ  et d’instituer du sacré, des mythes  et des rites, en un mot, inventer une Religion !
Deux remarques que l’on peut objecter à l’admirable René Girard:
La première c’est que le Christ n’est pas une victime  sacrificielle  comme les autres  puisque il était décidé à  mourir et que ses adeptes le croyaient innocent. Un bouc émissaire n’est jamais volontaire et tout le monde le hait.
La seconde, c’est que toutes les religions,  y compris le communisme, le nazisme,  ont été source des plus grands massacres dans l’Histoire des Hommes ? 

Alors, dès l’aube de l’humanité, la vie se révéla impraticable  puisque  l’intérêt  égoïste  s’exprimait  sans frein, au vue de tous !
Impraticable  mais possible puisque les animaux,  eux,  prospèrent malgré  leur indifférence relative vis-à-vis de leurs congénères, leur avidité  et leur  lutte incessante pour la vie. Sachez  qu’un oiseau, par exemple, passe presque tout son temps à chercher de la nourriture dans une insécurité  permanente et totale.
Sans faire l’éloge de l’égoïsme, il faut reconnaitre que « Sans l'appui de l'égoïsme, l'animal humain ne se serait jamais développé. L'égoïsme est la liane après laquelle les hommes se sont hissés hors des marais croupissants pour sortir de la jungle. » (Blaise Cendrars)
______

Comme membre du règne animal, « au commencement était la peur. L’homme est un être terrorisé. [2]

Terrorisé par les Dieux, par les autres et par la diversité  angoissante des choses naturelles
Dans ces conditions  originelles, comment l’Homme soumis  à son égoïsme consubstantiel  a-t-il pu conjurer son insécurité?
Un modèle à suivre fut la famille, sorte de super-individu groupant des personnes ayant le même but, à savoir,  assurer la sécurité de la cellule familiale.  La paix règne dans la famille primitive grâce
à l’autorité violente du père et malgré les rivalités entre descendants. Excepté le prétendu instinct maternel, l’amour familial instinctif est probablement un mythe !
Rappelons que la famille est un produit de l’instinct de reproduction, lui-même fils du Conatus primitif, celui qui « fait persévérer » l’espèce.

Une autre solution  pour masquer l’égoïsme humain foncier  fut  de mettre en veilleuse ses détestations  afin de tirer profit de l’action en groupe, en imitant  ainsi, les animaux sociaux ;
La chasse en meute permit d’attaquer de plus gros gibiers et de le consommer à plusieurs avant qu’ils ne pourrissent, puisqu’il n’y eut  pas de moyen de stockage avant longtemps.

Nulle générosité dans ces échanges économiques.  C’était en quelque sorte, la forme positive de la loi du Talion, le donnant-donnant. (- 1730 avant J.C.)
A noter que la forme négative du Talion, « Œil pour Œil, dent pour dent » représenta un progrès moral,  à comparer aux représailles cruelles actuelles, comme par exemple  l’assassinat de dix  otages innocents pour un coupable  par les Nazis sous l’Occupation ; soit près de  quatre mille ans de régression ! Par conséquent, la loi du Talion était bien un progrès puisqu’elle améliorait la justice.

Puis, est venue  la pratique du don et du contre don [137], des échanges marchands : les hommes, toujours en quête de leurs intérêts cachés et bien compris, renoncèrent à leur peur de l’autre  et découvrirent  alors, que le commerce apportait la paix, limitait l’isolement et la stagnation, donnant l’illusion d’un progrès moral du à la civilisation.
Cependant le don et le contre-don peut apporter un certain apaisement due à la réciprocité, mais cette paix est fragile car les cadeaux, souvent symboliques, courent le risque d’engendrer du ressentiment.

Dans la pratique du troc,  la réciprocité est déjà plus efficace, plus paisible.
A noter que le troc de choses neuves, sans acquittement  de la TVA est interdit en France. En effet, pour rémunérer l’Etat qui garantit la paix, il est nécessaire de prélever  une taxe sur  tout échange. Troquer sans acquitter cette taxe est le fait de profiteurs : une tricherie sociale !
En remplaçant le troc,  source peu flexible de conflits   , par la monnaie,  substitue général,  celle-ci a été un bienfait pour l’humanité puisque elle atténuait  les  ressentiments,  contrairement à ce qu’en disent les tartuffes !

Car, la marchandise n’a que peu de valeur pour le vendeur qui veut s’en débarrasser,  alors que c’est un besoin ou un désir souvent irrésistible,  pour l’acheteur. La monnaie est alors très utile puisqu’elle constitue la variable d’ajustement admise par tous.
Le commerce normal, équitable  suppose une certaine confiance des hommes entre eux, une certaine empathie dit-on, maintenant.

Cependant, Machiavel ne se fait pas d’illusion sur la nature du commerce des hommes !

« Selon Machiavel, les hommes sont guidés par l’intérêt, l’avidité, l’égoïsme et la vanité. Ils sont cruels, dominés par le besoin de se venger, d’asservir, de faire souffrir. Ils sont passionnés, impressionnables,  emportés. Il est plus facile de les duper que de les convaincre à l’aide de raisonnements.  Cela pour la politique intérieure. Quant à la politique extérieure, chaque état n’a pour but que d’asservir les autres : les alliances et les traités recèlent donc toujours une part d’hypocrisie, ne durent que le temps des avantages qui en découlent,  et d’autre part, la guerre est indissolublement liée à sa politique, elle est « la vraie profession de qui gouverne », le seul objet auquel le prince doivent donner ses pensées, et dont il lui convienne de faire son métier. » . [1]

Mais les avantages intéressés apportés par la coutume du don et contre-don, des fêtes , des rituels, (cf.« potlatch »)  n’expliquent  pas les indéniables  manifestations  d’empathie  et  de désintéressement  que l’on constate chez  les humains et même chez les grands primates.

Jon Elster invente l’expression  « effet Valmont », (du nom du célèbre personnage de roman de Choderlos de Laclos), qui consiste en gros en la joie que l’on ressent d’être perçu comme un brave type par l’assistance quand on fait une bonne action au départ par simple intérêt visant à tromper son monde (W).
En effet,  Valmont, le corrupteur se surprend à éprouver un plaisir véritable après avoir donné une aumône à une famille pauvre alors qu’il faisait  ce geste charitable d’une façon ostentatoire pour s’attirer  les bonnes grâces de la  très pieuse madame de Tourvel.
 Il rappelle ainsi, l’omniprésence du Conatus comme moteur de toute action humaine, même désintéressée.
Citons la Marquise du Chatelet (1706-1745) pour ne pas invoquer  toujours  le plus célèbre des moralistes français, François de La Rochefoucauld.
« Nous avons beau faire, l’amour-propre est toujours plus au moins caché de nos actions »

Il semble, en effet, quasi impossible de prouver qu’un acte apparemment désintéressé n’est pas, inconsciemment ou non, intéressé.
Quasi impossible signifie possible !
Ainsi,  on connait  des cas de dons de reins  effectués, à l’étranger,  par des donneurs  vivants anonymes,  sans lien de parenté avec les transplantés. C’est la prouve que l’altruisme est bien une qualité  des homos sapiens.
On trouvera toujours des sceptiques rigoureux qui penseront que, le donneur doit éprouver un plaisir certain qui s’apparente à l’effet Valmont. Mais sachant que le donneur de rein a 3 pour 10.000 chances de succomber à l’extraction, il faut admettre que son abnégation  tangente le maximum sur l’échelle du désintéressement.
Mais d’où vient cette vertu, le désintéressement ? Est-elle innée ou acquise ?
Il est attesté que les homos sapiens  avaient des comportements généreux. Ainsi,   sans remonter très loin dans le passé, dans le musée d'Alta Roca à Lévi en Corse, est exposé le squelette de la Dame de Bonifacio (-7.000ans) morte à 40 ans.
Elle était handicapée (atteinte de la maladie de Scheuermann). Une de ses épaules (la droite), plus haute que l'autre, était atrophiée. Elle avait des problèmes au niveau des articulations qui avaient atteint le tibia, les orteils... A l'évidence, elle n'aurait pas pu vivre sans l'aide de la communauté sapiens.
Mais il faut encore remonter plus loin que le néolithique, or il n’existe pas de textes plus anciens que l’Epopée de Gilgamesh.  Cette légende donne-t-elle une clé pour expliquer l’empathie, l’amitié, l’altruisme ?
L’Epopée de Gilgamesh est un récit légendaire de l’ancienne Mésopotamie (Irak moderne). Faisant partie des œuvres littéraires les plus anciennes de l’humanité, la première version complète connue a été rédigée en akkadien dans la Babylonie du XVIII° siècle av. J.-C. ou XII° siècle av. J.-C. ; écrite en cunéiforme sur des tablettes d’argile, elle s’inspire de plusieurs récits, en particulier sumériens, composés vers la fin du IIIe millénaire , donc  entre -2100 et -2000, le héros Gilgamesh ,  d’abord une sombre brute , prend conscience qu'il  est mortel et fait preuve soudain de compassion envers son ancien ennemi  Enki Du qui devient son ami.
Ainsi, la mémoire des Hommes témoigne d’un passage soudain,  ou progressif, nul ne le sait, d’un  comportement animal absolument indifférent au sort de leurs congénères,  à un comportement  qui  intègre le souci de l’autre.
Cette épopée montre aussi que l’Homme est perfectible contrairement aux animaux. Un chat, par exemple est « parfait », dans le sens qu’il est accompli,  dès sa naissance.  Même après un dressage, la sauvagerie, le naturel revient au galop ;  même repus, il court après une souris !
La perfectibilité des hommes est inscrite dans son Conatus, tout au moins dans son effort, non seulement pour maintenir sa personnalité et ses valeurs,  mais surtout pour  augmenter sa puissance d’agir.
L'âme s'efforce, autant qu'il est en elle, d'imaginer les choses qui augmentent ou favorisent la puissance d'agir du corps. (Spinoza, éthique III, proposition 12)
C’est le mérite de Spinoza d’expliquer que le Conatus évolué, c’est-à-dire « l’égoïsme bien compris »,  augmente notre puissance d’action.
Plus tard Kant énonce sa « loi morale pratique » faisant appel à la raison, donc  à notre intérêt bien compris:

 "Agis d'après une maxime telle que tu puisses toujours vouloir qu'elle soit une loi universelle».

Faut-il tricher, par exemple?  Non; car nous ne pouvons vouloir que la triche soit une loi universelle,  la vie en société deviendrait impossible.

Il est clair  que l’apparition de l’empathie et de l’amitié  augmente notre champ d’action, notre puissance  dans le monde, puisque si ces vertus sont apparues et demeurées, ce fut parce qu’elles représentaient un avantage évolutif au sens de la théorie de Darwin-Wallace.
Mais comment prouver scientifiquement l’existence de cette lueur philanthropique,  preuve qui expliquerait  peut-être l’empathie et le désintéressement ?

En 1990, une découverte renversante faite par des neuroscientifiques  italiens apporta un élément de réponse.
Une équipe  dirigée par Giacomo Rizzolatti  découvrit  l’existence des neurones-miroirs dans le cerveau des hommes et aussi dans celui de certains grands primates.
Selon Wikipedia,  les neurones miroirs désignent une catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité aussi bien lorsqu'un individu (humain ou animal) exécute une action que lorsqu'il observe un autre individu (en particulier de son espèce) exécuter la même action, ou même lorsqu'il imagine une telle action, d'où le terme miroir.
Selon Jean-Michel Oughourlian, grâce aux neurones-miroirs :
·        Vous me reconnaissez comme un être humain puisque votre bras ne bouge pas si vous regardez ce mouvement fait par un robot.
·        Vous comprenez pourquoi je veux faire ce geste.
·        Vous devinez mon intention si je suis en train de me verser un verre d’eau, et vous comprenez que j’ai soif.
·        Votre cerveau s’apprête à imiter mon action,  et à faire la même chose que moi.

La source biologique de l’Empathie, de la charité, de la compassion, des projections en psychologie, de la Théorie de l’Esprit en philosophie etc. serait donc cette capacité à percevoir et reconnaître les émotions d’autrui et de les faire siennes ?
Ainsi, la joie et la tristesse que manifeste  mon voisin sont communicatives.
Ainsi parlait  Saint Dominique pour qui, «  seul,  l’exemple est contagieux »

C’est bien connu ; tout se passe dans le cerveau, siège des neurones-miroirs.
Ainsi, les feux du sexe embrasent le voyeur, (vous, moi)  lorsque il assiste  à une scène  érotique  vivante ou à un film pornographique.
Le but   (de l’amant) … n’est pas la satisfaction immédiate mais  sa capacité à éveiller le  désir de l’autre … [3] (de la femme  aimée  puisqu’il se reconnait en elle).
Ainsi, grâce aux neurones-miroirs, l’Amour est  devenu un mode horizontal de connaissances.


(1)    Spinoza, Baruch, « Ethique III, proposition VI, La Pléiade,  Gallimard,  Paris
(2)    REVEL, J-F., "Histoire de la philosophie occidentale. La philosophie occidentale.  Humanistes et Cartésiens ", STOCK, Le Livre de Poche, p159
(3)    Des poux Thierry, « le désir et le bonheur »



Jean-Pierre Barret,  le 28/12/2012
De l’Amour neuronal

Deux instincts composent les forces irrationnelles qui entraînent l’homme : l’instinct de conservation et l’instinct sexuel.
 « L’homme n’est pas à l’origine de sa propre volonté, il est créature du vouloir-vivre universel » (Schopenhauer)

L’instinct d’autoconservation s’explique aisément par la théorie de l’Evolution (mécanisme de hasard/sélection) puisque s’il n’existait pas, nous ne serions pas là pour en parler.
Par contre, l’instinct de reproduction est plus difficile à expliquer par la théorie de l’Evolution.

Pourquoi ?
Parce que ce processus  s’accomplit sur une longue séquence (ou programme génétique, long  de 3 ans, semble-t-il) selon un enchaînement qui sent son but, (sa finalité, comme l’exprimait la célèbre formule d’Aristote : « La Nature ne fait rien en vain »).
Or, rappelons que, pour la science,  la Nature n’a  ni buts ni fins. La preuve en est qu’elle fait peu de cas de ses ratés, de ses régressions, de ses impasses. Restons en donc au déterminisme scientifique qui nie l’influence des causes finales en physique.
Chez l’Homme, la volonté, notre libre choix n'est en fait pas libre mais déterminé par ce qui nous met en sécurité.

Rappels :
La théorie de l’Evolution de Darwin & Wallace ne commande pas la création des instincts, elle les explique.
Une population d’êtres vivants a plus de chance de se perpétrer si, primo, elle a de nombreux descendants et si, deusio, ceux-ci ont une constitution  qui leur permet de s’adapter à leur environnement. Par le hasard et grâce à cette sélection naturelle, les êtres vivants favorisés  seront ceux qui possèdent , dans leurs gènes, un programme spécial, l’instinct sexuel qui pousse une femelle et un mâle à se trouver, à s’accoupler et à vivre en couple le temps d’élever leurs enfants.

Comment s’est constituée cette séquence reste un mystère ?

Rappelons qu’il existe des systèmes explicatifs autres que la théorie de l’Evolution ;
D’abord, l’intervention divine mais, dit-on, « les voix de Dieu sont impénétrables », donc, circulons, il n’y a rien à voir ;
Reste le « libre-arbitre de la volonté » humaine qui s’oppose au déterminisme de l’Evolution, mais que peut la volonté devant une belle femme/un bel homme) ?
Selon Sartre, on peut toujours dire Non dans l’absolu, mais comment s’opposer au naturel qui, comme chacun sait, revient toujours au galop.

Revenons à la Théorie de l’Evolution qui, selon nous, est l’explication la plus convaincante bien que cette théorie ne soit pas, scientifiquement prouvée (selon le critère  de non-réfutation de K.Popper)
Elle se base sur  l’occurrence de mutations favorables. En génétique, une mutation est une modification irréversible de l'information génétique et héréditaire contenue dans un génome et due, par exemple, au rayonnement cosmique erratique, frappant un gamète.

On parle de mutation germinale  quand la mutation porte sur l'ADN des cellules souches d'un gamète Dans ce cas, l'embryon sera porteur de la mutation, alors qu'aucun des parents ne la possédait dans son patrimoine génétique. 

 Cette explication peut sembler une échappatoire comme celle qui justifie l’apparition d’un organe de vision aussi complexe que l’œil humain, mais la science ne possède pas encore de justification plus convaincante, c’est-à-dire, plus admissible ou probable.

Détaillons la séquence de la reproduction, prétendument inventée par Dame Nature, mais, en fait, probablement due entièrement au couple hasard/sélection.[*]

« 1°.- Le désir sexuel qui se caractérise par un besoin pressant de satisfaction sexuelle  et qui n'est pas, nécessairement lié à la présence d'une personne particulière.
En fonction des connaissances disponibles actuellement, on peut expliquer la reconnaissance du partenaire et l'état d'excitation sexuelle par  les phéromones sexuelles qui assurent les connexions entre les récepteurs olfactifs et les neurones de l’hypothalamus qui contrôlent les hormones sexuelles).
Mais, à vrai dire, on voit mal comment le rapprochement et le contact des zones génitales serait une phase innée chez l’animal.
2°.- L'attraction très spéciale pour une  personne du sexe opposé, objet de toute notre attention et de notre énergie qui se caractérise par de l'euphorie, des pensées envahissantes  centrées sur la personne  cible et par une envie irrépressible d'être uni émotionnellement avec celle-ci. Il s'agit, bien sûr, d'amour. [*]

3°.- L'attachement, ou l'installation dans la durée, qui se caractérise chez les animaux par la construction du nid, la défense du territoire et les soins mutuels, y compris alimentaires, et chez les  couples humains, par des fonctions globalement équivalentes. Â ce stade, l'objectif est, bien entendu, l'éducation des jeunes.
Si on inclue le temps des soins à prodiguer à un enfant pour qu’il devienne autonome, on voit que cette séquence instinctive de « reproduction » est étonnamment longue ; Elle dure au moins 3 ans. » [*]

Ce programme génétique héréditaire est , en fait, une suite d’émissions programmées d’hormones dans le corps du violeur, du Don Juan cynique, de l’amoureux sincère ou du futur parent, selon le cas. Ce sont :
               Les phéromones dont l'effet est faible dans l'espèce humaine, et il est surtout physiologique. Au cours de l'évolution, les phéromones ont été remplacées par les récompenses / renforcements, et le comportement de reproduction est devenu un comportement érotique.
               L’Ocytocine est l’hormone de l'attachement.
« Elle est effectivement impliquée lors de l'accouchement, mais elle semble  aussi, par ailleurs, favoriser les interactions sociales amoureuses ou impliquant la coopération, l'altruisme, l'empathie, l'attachement voire le sens du sacrifice pour autrui, même pour un autrui ne faisant pas partie du groupe auquel on appartient. » [*]
               La Dopamine et les Endorphines sont des hormones qui actionnent les circuits de récompense.
 La dopamine est responsable de la motivation, les endorphines provoquent le désir qu'on cherche à renouveler. En ceci, son effet s’apparente à celui de la cocaïne.

Mais la chimie des hormones n’engendre pas le même comportement chez les hommes et chez les femmes.
Observons un groupe d’hommes et de femmes:
En général, un homme en société, inconsciemment peut-être, tend à vouloir être le mâle dominant. Il cherche à impressionner les femmes pour qu’elles aient envie de coucher avec lui. Pour ce faire et diminuer les autres hommes présents, il doit faire état de sa position hiérarchique enviée, de ses amis influents,  de son compte en banque, de son patrimoine, de ses beaux costumes, de sa belle auto, de sa cave à vins,  de son intelligence, de son humour, de sa force physique, de sa bonne santé, de son attendrissement pour les enfants, de ses bonnes œuvres, de son goût pour le bricolage  etc.
Il faut dire que la compétition est dure puisqu’il y a, en chaque mâle, des milliards de spermatozoïdes générés par jour alors qu’il n’y a qu’un ovule fécondable par femme et par mois.

Quand le veuille ou non, la femme,  tout au moins dans les temps anciens, était et reste encore vulnérable car si on devient une femme, on nait femelle  et ceci à cause du grand fardeau biologique de la mise au monde d’un enfant et de son longue apprentissage.

Oui, une femme, c’est « intéressé »… pour la bonne cause, puisque, pour elle, un « je t’aime » est la promesse d’une assurance-vie (du moins feint-elle de le croire)

Est-ce provocation de dire que ce sont les femmes qui ont inventé l’Amour humain ?

Deux types d’amour : Aimer ou être aimé

« Je t’aime » caractérise l’instinct de reproduction qui met en jeu, successivement et sur une longue période, le désir sexuel,  l’attraction d’apparence sentimentale et l’attachement entre 2 parents.

 « Être aimé » est plutôt l’expression de l’instinct d’autoconservation.

L’instinct d’autoconservation se doit de précéder l’instinct sexuel, car la condition première de propagation de l’espèce est bien qu’un individu se maintienne en vie (Conatus) avant de pouvoir se reproduire.
Cependant, il est généralement admis que l’instinct sexuel n’est qu’une autre facette de l’instinct de conservation, celle qui aurait pour « but » la conservation de l’espèce (ce qui est contestable).

Le lecteur sentimental, choqué par cette chimie des hormones, cette camisole chimique qui enserre l’amour,  pourra se consoler en constatant que, par le jeu de substances chimiques, le désir sexuel, l’attraction et l’attachement se passent dans le  cerveau des 2 partenaires donc dans la partie de l’être humain la moins animale.

Constatons que l’amour est universel, comme le souligne Lucy Vincent [*], et existe partout: « Chez tous les peuples connus, on chante des chansons d'amour, on écrit des poésies d'amour, on raconte des mythes et des légendes fondés sur l'amour, on pratique la magie  pour susciter l'amour et, dans des cas extrêmes, on se suicide par amour déçu. Les mécanismes qui contrôlent notre aptitude à tomber amoureux semblent donc bien antérieur à l'existence des différents types de sociétés et des différents contrats de mariage »

LES AMOURS ROMANTIQUES ET PLATONIQUES.
Puis est apparu le « pur amour », l’amour désintéressé, définit comme un don de soi et une acceptation de l’autre tel qu’il est. [*]
Ce type d’amour met en échec l’explication déterministe avancée par la théorie de l’Evolution. En effet, il n’a pas l’effet d’unir deux personnes sexuées en vue de la reproduction ;
Il faut faire appel à une autre explication plutôt étayée, selon nous, par la recherche de sécurité, c'est-à-dire une manifestation de l’instinct d’autoconservation.
.
Quels sont nos arguments ? :

 L'homme est l'unique être vivant  qui a un besoin insatiable de se  raconter des histoires.
 Il a ainsi développé grandement son imagination d'où il tire moult  satisfactions gratuites.
 Exemple: l’amour   romantique ou platonique, la foi religieuse etc.
Souvent la cause  de ces "romans" est l'insatisfaction ressentie dans le temps présent.
 A partir de son expérience et du contenu de sa mémoire, l'imagination  de l'homme lui permet de bâtir des scénarios dans le but d'anticiper l'avenir selon les hypothèses les plus favorables. En anticipant, il croit gagner une certaine sécurité, expression de son instinct d'autoconservation.

Espérer  c'est avoir la capacité de se projeter profondément dans l'avenir, par exemple croire en une autre vie après la mort pour calmer son angoisse existentielle.
C'est particulièrement le cas où un homme est seul dans le désert.
Autre exemple extrême, la condition du prisonnier qui se sent coupable et donc retranché, isolé, en quelques sortes, du genre humain et ceci est une souffrance atroce.  S’il exprime parfois des remords, c’est pour pouvoir se réintégrer un peu.
Il a besoin de parler avec les autres car nous avons un besoin vital  des uns des autres. D'où le succès des visiteurs de prisons, des confesseurs ou des psychologues.
L'Autre est un relais pour retrouver un point d'appui,  première  condition pour se sentir en sécurité.
En vérité, on veut être aimé avant d’aimer.
Heureusement, grâce au ballet de nos hormones, tomber amoureux ne dépend pas de notre volonté.

Jean-Pierre Barret  le 29/11/2010

[*] Vincent Lucy, "Comment on devient amoureux" , Editions Odile Jacob, Paris 2004



ART  &  BEAUTE

La beauté est un mystère , mais alors, qu’est-ce qui nous pousse à trouver une chose belle ?

Malgré une démarche réductrice , à notre corps défendant , nous tenterons , ici, de trouver une cause originelle possible à l’attrait  qu’exerce  sur nous la beauté, 
Selon une définition classique , une chose est belle si, au travers d’une expérience sensorielle, elle procure une sensation de plaisir ou une émotion, un sentiment de satisfaction, …de bien-être, de plaisir , ou même de bonheur et parfois une extase.
La beauté est naturellement associée  à l’émotion de plaisir.
Cependant, il y a d’autres attracteurs ( stimuli)  qui  nous procurent cette sensation de plaisir : la libido,  les enfants, la famille, l’amour, l’argent, la vérité, le bien, le bonheur, les désirs ou les besoins de gloire, de domination ou de perfection ou simplement le désir d’être reconnu etc. et que l’on ne qualifie pas nécessairement, de beau.
Inversement, d’ordinaire la laideur ne procure pas de plaisir alors que la beauté extérieure le fait. Certains tableaux de Roger Bacon ou de Picasso font peine à voir.
On parle aussi, de beautés intérieures ou spirituelles ,  associées à des qualités altruistes que je trouve belles chez les autres , les engageant  à les cultiver, telles  la générosité, la grandeur d’âme, le courage, la franchise, l’attention… mais il faut bien reconnaître que ces qualités chez autrui  me plaise, à toutes fins utiles…
La « beauté  du diable » est une beauté  extérieure mais qui cache la méchanceté dans son for intérieur. Notre intérêt égoïste (conatus) nous pousse donc, à la trouver dangereuse  et donc à la fuir.
La sollicitation  qui déclenche cette émotion de joie est soit un stimulus extérieur : une « bonne rencontre » , soit un déclic intérieur issu de notre expérience passée mémorisée, de notre inconscient  ou de notre imagination  causant en particulier, la sécrétion  interne d’ocytocine.
Plus particulièrement, qu’elle est la cause profonde, originelle  qui rend  la Beauté attractive sinon attirante ? Quel jugement  de valeur ?

L’Evolution a engendré ces attracteurs afin de maintenir en vie , les espèces et les êtres vivants ce qui n’est pas une cause évidente  pour justifier la Beauté.
Dans « sa volonté de puissance » Nietzsche nous donne une première clé : « tout jugement de valeur n’a de sens que dans la perspective de la conservation de l’individu, d’une collectivité, d’un état d’une foi, d’une civilisation…
Notre seul « désirence » , ce Désir profond, inconscient  et permanent serait donc, selon Nietzsche, de se sentir d’abord en sécurité poussé par notre instinct de conservation.
Ouvrant une parenthèse philosophique pour rappeler  ce qui nous régente en définitive : l’élan vital, la volonté d puissance, le vouloir-vivre, le conatus.
Spinoza, avant Schopenhauer avait défini, plus généralement  le Conatus  qui est, en fait le Désir (DFI) aveugle, fondamental,  inconscient,  sans objet (Le poète parle de  cet « obscur objet du Désir » ), cette rage de vivre et de survivre, de s’étendre, cet élan existentiel  ou  Poussée existentielle qui témoigne du désir inconscient d’augmenter notre puissance d’exister. Les désirs ciblés ne sont que les effets du Désir  fondamental  ou désirence,
L'homme est un être dont la complexité lui permet de s'étendre beaucoup plus que tous les autres organismes connus. La joie ou augmentation de notre puissance d'exister, c'est-à-dire pour un corps de s'étendre malgré la résistance des autres corps, est épanouissement de notre puissance d'exister.

Plus précisément ,dans son Ethique III  Spinoza  définit cet effort le  conatus :
« Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être. » Proposition VI
« L'effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n'est rien de plus que l'essence actuelle de cette chose. » — Proposition VII
Rappelons que la désirence , l’appétit sans objet se distinguent du désir d’acquérir quelque chose comme , par exemple le désir d’être reconnu ou le désir de manger du chocolat.
Réduire l’attrait de la beauté à un instinct de conservation ou d’augmentation de puissance d’agir peut  paraître inadmissible aux esthètes .
Mais dans le conatus spinozien, il y a deux types d’effort : l‘instinct d’autoconservation  (CE) et l’instinct d’expansion. (CE).
L’alphabet grec et les langues sémitiques commencent par l’Alpha qui représenterait le bœuf donc un animal élevé pour satisfaire le premier besoin physiologique : la nourriture.
La deuxième lettre de ces alphabets est Béta qui signifierait  « la maison »  (Beth), symbole du lieu protecteur.
Or , qu’est-ce que la beauté pour les jeunes enfants de moins de six ans , proches de la nature ?
Ils sont attirés par les tableaux , notamment  impressionnistes, aux couleurs vives et variée,
Ils apprécient aussi, les images d’animaux.
Leurs premiers dessins évoquent  la maison (béta) ou une silhouette  (la mère ?). donc des figures protectrices.
Nous sommes tous, comme les fleurs attirées par la lumière protectrice que toutes les civilisations ont choisi comme Dieu .
Comme nous le verrons plus loin, le conatus conservatif (CC) est une cause inattendue pour jouir de certaines beautés.  Ou plus précisément pour amorcer l’habitude renforçatrice de la jouissance de la beauté
Par contre Le conatus expansif (CE) est la cause majeure  de l’attrait répétitif de la beauté.
C’est la désirence qui crée la beauté.

Stendhal déclare dans « De l’amour », :
 «  La beauté n’est que promesse de bonheur »
Il s’agit surtout de voir la raison profonde de ce rapprochement du bonheur et de la beauté, la beauté serait capable d’intensifier les forces vitales, d’accroître notre potentiel de vie, de vivre dans la joie et non dans la mélancolie et la tristesse liée à la laideur.
Quand on écoute J.S.Bach, ou que l’on regarde , par exemple, un paysage sublime, on ressent parfois un « sentiment océanique » qui se rapporte à l'impression ou à la volonté de se ressentir en unité avec l'univers (ou avec ce qui est « plus grand que soi ») parfois hors de toute croyance religieuse…Dans  cet  état, on se sent plus fort libéré de la frustration, du manque, du néant…et quand il n’y a plus de frustration, il n’y a plus d’égo » .[120]

Aussi, cette question rejoint le débat sur la nature de la beauté, la beauté est-elle capable seulement de nous éviter la douleur ? Elle n’aurait qu’un pouvoir négatif, et de l’autre, la beauté aurait des capacités à accroître notre pouvoir de vie. D’une manière plus générale, c’est le pouvoir sur la vie qui est en question, a t-il un quelconque effet sur nous, est-il apaisant ou vivifiant ?
Élan existentiel » ou « Poussée existentielle »
Notre seul désir profond et permanent serait donc, selon Nietzsche, de se sentir d’abord en sécurité poussé par notre instinct de conservation.
En effet, au minimum, est beau et donc capable de nous faire plaisir ce qui nous rassure : la symétrie, la répétition, le rythme, l’harmonie etc. :
Un visage symétrique est souvent jugé beau.
La répétition d’un motif est souvent appréciée. Schubert  y  excelle.
Les accords dissonants inquiètent ; ils sont proscrits  en musique classique  etc.

La Beauté serait donc l’aboutissement d’un processus, mais  aussi un commencement , une promesse :
"La beauté n’est que la promesse du bonheur" (Stendhal)
Et l’on retrouve le renversement spinozien : « Si la beauté n’est qu’une promesse du bonheur, ce n’est pas du tout parce qu’elle promet le bonheur,  mais au contraire parce que l’espérance de bonheur, assure, décrète le beauté ; La beauté serait capable d’intensifier les forces vitales, d’accroître notre potentiel de vie, de vivre dans la joie et non dans la mélancolie et la tristesse liée à la laideur » (Vandeuren)
Un moyen d’atteindre le beau est de dénombrer  ce qui nous donne du plaisir .
Ainsi une autre façon  inattendue, d’arriver au plaisir donc, dans certain cas à la beauté, est de partir d’un sentiment diffus de crainte ou de tristesse, qui fait place insensiblement à une vision plus rose. C’est ce que les neurobiologistes nomment « les processus opposants » * décrit par Solomon en 1990.
Un poète français l’avait devancé en 1912 quand il écrivit : « faut-il qu’il m’en souvienne. La joie venait toujours après la peine ». Les dictons populaires ne sont pas en reste : « Après la pluie , le beau temps ».
C’est comme si l’on se frappait la tête à coups de marteau, juste pour sentir le plaisir  quand cessent les coups.
Autrement dit, on trouve une scène  plus belle, plus gratifiante si elle côtoie (en peinture), ou si elle suit (en littérature) une scène menaçante ou désagréable.
Je nomme ce phénomène : « rupture de thèmes ». Ce processus n’est toutefois pas généralisable.
Donnons des exemples pour les arts majeurs :

1°.- Pour la littérature, les beaux romans d’amour ou les romans policiers fonctionnent en rompant le thème,  dans le temps. Une première partie expose des amours malheureux ou des crimes affreux. Heureusement l’œuvre qui plait, finit par une deuxième partie  réjouissante, une « happy end ».
On nous objectera que la pièce « Romeo &  Juliette » se termine par deux décès ! Mais le lecteur aura vite compris que leur bonheur est éternel dans l’au-delà !

2°.- Pour la peinture, cette rupture doit avoir lieu dans l’espace restreint de la toile.
Regardons le célèbre tableau d’Eugène Delacroix(1830) « La liberté guidant le peuple » où l’on voit, en second plan, la foule menaçante et, en premier plan une jolie femme triomphante, joyeuse brandissant le  drapeau national.

Autre exemple pictural, « Ulysse et les Sirènes » (H.J.Draper 1909) où l’on voit en second plan, le pauvre Ulysse attaché au mât de son bateau pour ne pas rejoindre les jolies sirènes avenantes que l’on voit au premier plan ;

 

3°.-Dans le théâtre tragique, l’exposition des comportements blâmables causes du drame sert à purifier les spectateurs  , à les « purger »  des passions (catharsis). La pièce sera jugée belle si l’effet en est le perfectionnement du spectateur, soit en terme spinozien, l’augmentation de sa puissance d’être ou Conatus CE.

3°.- Pour l’architecture, la symétrie d’un bâtiment nous rassure et nous pouvons le trouver beau. Par contre, nous aurons tendance à trouver laid une bâtisse de guingois que l’on ressent menaçante, inconsciemment.

4°.- Pour la musique, qu’est ce qui nous pousse à aimer une œuvre musicale ?
Le plaisir vient de la fin d’une attente. Toute phrase mélodique s’écoute dans l’attente de l’accord final qui est en général l’accord parfait sur la tonique.
La musique est ATTENTE et toute attente dénote une crainte qui s’évanouit avec l’occurrence de cette tonique.

5°.- Pour l’art de la conversation, citons la structure des traits d’esprits. On a remarqué que l’humour le plus efficace avait lieu lorsque l’énoncé de la blague était composé de deux parties, la seconde obéissant à une logique paradoxale en regard de la première. Un bon mot doit présenter une rupture de logique qui surprenne ; (cf. Rupture de thèmes)
Par exemple l’énoncé de Woody Allen, « L’éternité, c’est long, surtout vers la fin ! » est composé d’une première partie plutôt angoissante, c-à-dire la longueur de l’éternité, confrontée à la seconde partie plutôt réjouissante et parfaitement contradictoire avec la notion d’éternité. Ou encore :
« - Tu as aimé sa pièce ? demande un confrère à Marcel Achard.
- Non, pas beaucoup. Il faut dire que je l’ai vue dans de mauvaises conditions : le rideau était levé. »
Dans quelques œuvres d’art, un certain mal-être ou  crainte est suivi  ou côtoie un soulagement agréable  qui fait aimer et trouver belle cette œuvre d’art.

Sincèrement, puis-je trouver belle une situation où je me sens  en danger ?  Imaginez-vous, à bord d’un bateau de croisière longeant les admirables côtes de la Corse. Vous serez rempli de bonheur.
Par contre, imaginez-vous à l’eau, naufragé, vous épuisant à tenter de rejoindre à la nage, cette admirable vue,  au loin.
Peut-être, il y aura pour vous observer, des « amateurs d’art »  en sécurité sur le bord , qui trouveront beaux vos efforts désespérés pour atteindre la terre.
Jean-Pierre Barret     Chambourcy , décembre 2014

* Processus opposants : p195, « Voyage extraordinaire au centre du cerveau », par Jean-Didier Vincent, Odile Jacob, Sciences, 2007. «…lorsqu’un stimulus entraîne un état A déplaisant à renforcement négatif, son arrêt provoque l’installation d’un état B plaisant à renforcement positif ...Lorsque, lors d’un premier saut  en chute libre et avant que le parachute ne s’ouvre, les sujets présentent tous les signes de la terreur et de l’anxiété la plus vive dont témoignent leurs yeux révulsés, leur cœur déchaîné, …. Une fois à terre et après une courte période de stupeur, la joie s’épanouit sur leur visage, ils parlent et gesticulent et tout leur corps baigne dans l’euphorie… » Les valeurs de A et B peuvent être inversés : à l’arrêt d’un état agréable, comme après la première prise de drogue ; L’arrêt de cet état agréable est alors suivi d’un état de souffrance  appelé  Manque